Tragédie et capsules (2) : « Phèdre » en classe inversée

Voici un autre retour d’expérience : après Corneille, nous avons travaillé sur Racine. Toujours dans un laps de temps très court (2 heures), comment donner des points de repère sur la vie de Racine, proposer une approche simplifiée du jansénisme et étudier un extrait de tragédie (Phèdre) tout en faisant en sorte que les apprenants soient actifs ? Voici quelques idées que je partage et qui sont liées à mon contexte d’enseignement : un groupe d’étudiants étrangers de niveaux très hétérogènes (petit B1 à petit C1) mais très motivés.

A distance : capsule et feuille de route

Chez eux, les apprenants ont eu à regarder une capsule qui avait pour objectifs de donner quelques informations importantes sur la vie de Racine, proposer une première approche du jansénisme et présenter le début de l’intrigue de Phèdre.

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Tout en regardant la capsule, les apprenants devaient compléter une feuille de route pour prendre des notes, conserver une trace écrite du cours et annoter des questions.

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En présentiel : reconstruire et compléter les connaissances

Le cours a commencé par une reconstitution collective et polyphonique de cette première « strate » de connaissances apprises dans la capsule : ce sont les étudiants qui ont pris la parole, puis qui ont posé des questions sur ce qui n’avait pas été compris.

Cette reconstitution a ainsi été l’occasion d’ajouter une nouvelle « strate » de connaissances plus difficiles à comprendre, notamment sur le jansénisme : les étudiants ont complété la première prise de notes avec ces nouvelles données. Ensemble nous avons approfondi la comparaison entre le héros cornélien et les idées jansénistes.

La capsule a ainsi permis tout d’abord d’éviter un cours magistral qui aurait surchargé cognitivement les apprenants, mais surtout de favoriser l’ancrage des connaissances par la construction progressive et par étapes du savoir.

En présentiel : consacrer plus de temps au texte, aux émotions, aux hypothèses, aux interprétations

Grâce à ce temps gagné, nous avons pu passer plus rapidement au cœur du sujet : l’aveu que fait Phèdre à Hippolyte dans l’Acte II, scène 5.

  • Le support de travail a été distribué puis nous avons regardé la mise en scène de Patrice Chéreau correspondant à l’extrait que nous allions étudier. La puissance de Dominique Blanc, sa gestuelle, le fait qu’elle découvre son sein pour inciter Hippolyte à la tuer ont largement contribué à la compréhension d’un texte inaccessible à une partie de mes apprenants.
  • Ensuite par petits groupes, les apprenants ont répondu aux questions du document de travail en s’appuyant sur les vers de Racine.
  • Un bilan a été fait collectivement en guise de correction.
  • La tâche finale était d’imaginer les pensées d’Hippolyte aux moments où se trouvent les astérisques dans le texte et de compléter les bulles de bande-dessinée.

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Tragédie classique et capsules

Comment enseigner la tragédie classique et sensibiliser des étudiants étrangers au dilemme cornélien en 2 heures sans qu’ils ne s’endorment en écoutant passivement les stances du Cid ?

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Voici quelques pistes à exploiter pour des cours relevant les mêmes défis :

  • La tragédie classique en classe inversée

La tragédie classique a été présentée sous forme de capsule que les apprenants ont regardée chez eux en prenant des notes. En 5 minutes, il est impossible de présenter un tel sujet. Néanmoins, cette capsule a donné un premier cadre, un premier niveau de connaissances que nous avons complété en présentiel lorsque, en cours, les étudiants ont reconstruit ces premières connaissances sur la tragédie classique. J’ai alors pu approfondir, donner des exemples sans monopoliser la parole et en les faisant participer et comparer avec le drame shakespearien qu’ils connaissaient tous.

  • Modélisation des attentes

Ensuite, nous avons abordé la pièce avec un schéma des personnages (en version simplifiée) et nous avons étudié la première stance ensemble pour mettre en lumière le dilemme et la douleur de Rodrigue en nous appuyant sur quelques figures de style.

  • Création d’une capsule par les apprenants

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Ensuite, continuer à ce rythme l’étude de toutes les stances aurait démotivé les étudiants dont l’effort cognitif était déjà très élevé pour une compréhension littérale du texte. Il était nécessaire de les rendre actifs. J’ai donc choisi de privilégier la qualité de leur lecture à la quantité (la lecture de l’intégralité des stances). Ils ont alors travaillé en petits groupes avec une tablette et l’application Explain Everything : chaque groupe devait étudier une stance et produire une petite capsule dans laquelle serait présentée une courte analyse de la stance, en utilisant les outils tels que le laser, le crayon et en enregistrant la voix. Ainsi, après un moment de stress tout à fait compréhensible, les groupes se sont mis au travail en collaborant, s’entraidant, négociant, etc. Dix minutes avant la fin du cours, tous les groupes sont partis à la recherche d’un lieu silencieux pour l’enregistrement des commentaires et le travail était terminé pour tous à l’heure.

  • Une capsule d’apprenants complétée par le prof

Lorsque j’ai regardé les capsules, j’ai constaté qu’il manquait certains commentaires : j’ai donc pris la liberté d’ajouter certaines remarques à la fin de chaque capsule, à la fois pour équilibrer les analyses mais aussi pour compléter cette polyphonie et pour poursuivre ce travail de co-construction de la classe inversée qui met l’enseignant à côté des apprenants et non plus sur un piédestal.

Le bilan en ce qui concerne la motivation est plutôt positif : chacun a dû s’investir et être actif pour faire ressortir ce dilemme en observant attentivement la syntaxe, le lexique. L’ambiance était vraiment studieuse et dynamique.

  • Donner du sens à l’ensemble des capsules

Chaque étudiant a reçu les liens de toutes les capsules (voici un exemple) et doit les regarder, prendre des notes pour être capable de faire un commentaire du même type à partir d’un autre extrait de tragédie.

Certes, tous n’ont pas lu l’ensemble des stances. Mais lors du prochain cours, nous regarderons une mise en scène de cet extrait et le puzzle des analyses permettra à chacun de sentir le dilemme en extrapolant ce qui a été dit dans une stance à toutes les stances.